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Photographier la guerre

 

Photographier la Grande Guerre.

Photographe, amateur mais plus qu'éclairé, Yves Troadec a pris et développé lui-même durant toute sa vie un nombre considérable de clichés. Pourtant, à partir de cet ensemble imposant, il n'aura, en tout et pour tout, réalisé que deux albums annotés, sur la guerre 1914-1918. Cela tend à prouver sa volonté, tout au moins, d'organiser son témoignage, et d'ajouter aux clichés ses remarques, ses commentaires. Le contexte historique de la pratique photographique permet de mieux saisir la valeur de son témoignage. Un récent article de Thérèse Blondet-Bisch du Musée d'histoire contemporaine a fait le point sur cette question dans Historiens & Géographes ( n° 364, pages 248-251). La photographie de guerre ne fut définie de façon très officielle qu'en novembre 1915 par le ministère de la guerre qui, en mai venait de fonder le premier service photographique officiel, rattaché à l'armée. Les "opérateurs" accrédités par le grand quartier général pour se rendre sur les zones de combat avaient un cahier des charges rigoureux à respecter. Leurs photographies, devaient témoigner certes, mais surtout exalter le patriotisme français, en faisant oeuvre de propagande, tout en rassurant l'arrière. Ainsi l'énorme masse de plus d'un million de clichés "officiels" donne une vision bien conformiste du conflit, centrée sur une armée décidée et victorieuse. Les scènes de combats y sont rares au profit d'images figées ou la mort est sinon absente voire édulcorée et dans tous les cas uniquement "allemande". Ici avec les photographies d'Yves Troadec, il s'agit donc bien de tout autre chose. Le paradoxe est d'autant plus intéressant au regard des règlements affichés par l'armée sur ce sujet. Les poilus avaient pour interdiction formelle d'aller au combat avec un appareil photographique. La crainte "officielle" de voir livrer ainsi des informations précises à l'ennemi, si le soldat décédait ou était fait prisonnier, se doublait de la volonté d'éviter toute vue qui ne respecterait pas les "canons" précédemment édictés. Les photographies d'Yves Troadec et de son discret "Vest Pocket" sont donc exceptionnelles à plus d'un titre : elles appartiennent à la très rare minorité des clichés bruts ayant échappé à tout contrôle et qui rapportent la réalité du conflit dans toute sa vérité, jusqu'à son horreur la plus insupportable. Cette réalité n'est pas celle des photos officielles, ni celle des lettres partiellement censurées, mais elle rejoint la vision des carnets de campagne de soldats dont ceux de Gaston Certain. C'est sans conteste ce côté "clandestin" de leur témoignage qui explique la retenue des poilus, et donc d'Yves Troadec, quant à leur diffusion hors du cadre familial. Il est dans l'ordre des choses que ce soient leurs familles qui mettent en lumière leur témoignage. Eux n'ont pas pu sur ce point, sortir du "négatif" de ce douloureux vécu.

 
 
Dernière mise à jour : 20-10-2000